SolutionScience #021 | Les 3 mots qui ruinent tes démos (et que tu utilises sûrement tous les jours)
Dans une démo, chaque mot compte.
Le prospect :
« Vous pouvez nous expliquer comment vous construisez un segment avec notre logique métier ? »
Le SE :
« Alors, on va juste regarder rapidement un petit exemple, ça devrait techniquement fonctionner même si c’est un peu complexe au début. »
Ce n’est pas une question de style. C’est une question d’autorité narrative : ta capacité de SE à conduire la démo, à cadrer l’attention et à inspirer confiance.
Beaucoup de SEs, même très bons, sabordent involontairement la démo avec des mots réflexes, anodins en apparence, mais qui affaiblissent instantanément leur posture : ils donnent une impression d’hésitation, de manque de conviction, voire même de distance vis-à-vis du produit ou pire encore, du prospect.
Il m’a fallu énormément de temps pour les identifier car je les utilisais inconsciemment pour paraître peut-être plus aimable, plus nuancé... et même un peu plus prudent.
Puis un jour, j’ai assisté à une très grosse démo d’un collègue chez Adobe. Ce n’était pas une mauvaise démo, loin de là, mais j’ai entendu à plusieurs reprises ces tics de langage que je connaissais moi-même trop bien : simplement, juste, potentiellement, peut-être, techniquement, etc.
Et ça m’a frappé avec une clarté que je n’avais jamais eue en m’écoutant moi-même : ces mots créaient une sorte de voile sur la démonstration. Une façon (involontaire) de camoufler ce qui méritait d’être au contraire affirmé, et de nuancer ce qui n’avait surtout pas besoin de l’être.
C’est souvent beaucoup plus facile d’entendre les erreurs chez les autres que chez soi : j'ai l'impression que c'est un privilège (un peu) douteux, mais il est très utile quand il s’agit d’améliorer ses propres démos !
En l’occurrence, cette démo m’a mis devant mes propres tics de langage : j’ai réalisé que j’utilisais exactement les mêmes mots, au même moment, et surtout pour les mêmes raisons.
Depuis, je conseille systématiquement de faire cet exercice on ne peut plus simple : assiste aux démos des autres. Tu y verras tes propres défauts, mais à travers un miroir beaucoup plus franc. Et en bonus, tu pourras constater que tous les AEs ont la même tête lorsqu’un SE claque le mot « techniquement » toutes les 2 minutes, pour chaque question du prospect...
Trêve de plaisanteries : c’est l’un des exercices les plus utiles pour un SE car il permet d'avoir le recul nécessaire pour voir ce qui passe... et ce qui casse.
En y réfléchissant, je pense qu'il existe trois grandes familles de mots capables d’affaiblir une démo. J’ai commencé à les traquer dans mes propres meetings, puis à les retirer graduellement (c'est comme un sevrage, ce n'est vraiment pas facile). Cela a été une sorte de chirurgie du langage : un nettoyage progressif qui a fini par changer la vibes générale de mes démos.
- Les mots d’excuse : ceux qui réduisent ce que tu veux amplifier
Ce sont les mots qui arrondissent (un peu trop) les angles, comme si tu avais peur de déranger ton propre produit pendant la démo. Les plus courants :
- juste
- simplement
- rapidement
- un petit…
À l’oral, ils semblent sympas mais pendant une démo, ils rétrécissent les contours de ce que tu présentes. Lorsque tu dis :
« On va juste regarder comment créer un segment. »
Tu crées une contradiction immédiate : si cela ne semble pas si important, alors pourquoi le montres-tu ? Tu effaces la valeur avant même qu’elle n’apparaisse.
Ce genre d’amorces donne l’impression que tu marches sur la pointe des pieds dans un terrain où tu devrais avancer avec assurance. Pas arrogance, hein, assurance.
Un SE n’a pas à s’excuser du terrain qu’il connaît.
- Les mots d’incertitude : ceux qui ouvrent la porte au doute
Deuxième famille, et certainement les pires s'ils sont utilisés pour rester prudent, diplomate, nuancé. En réalité, ils ont l’effet inverse :
- peut-être
- normalement
- en théorie
- ça devrait
- on va essayer de
Tu veux éviter la surpromesse et c’est plutôt noble de ta part. Mais je peux t'affirmer que dans une démo, le prospect traduit ça très différemment.
Lorsque tu dis :
« Là, ça devrait techniquement fonctionner avec vos sources de données pour automatiser ce cas d'usage. »
Le prospect n’entend pas « prudence » mais « incertitude ». Et un prospect n’a besoin que d’une fraction de seconde, souvent inconsciemment, pour se fabriquer une inquiétude supplémentaire.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tu ne te bats pas contre la réalité du produit : tu te bats contre l’imaginaire du prospect. Et l’imaginaire adore jouer sur les mots...
- Les mots d’auto-sabotage : ceux qui dévoilent un problème qui n’existait pas
Enfin, il y a les mots qui introduisent un truc anxiogène ou un problème que personne n’avait perçu avant toi !
- Techniquement
- C’est un peu compliqué
- On ne va pas regarder cette partie
À peine le mot est posé que tu vois l’AE se raidir : lui aussi sait ce qui arrive, mais il se contente juste de respirer différemment, comme un animal qui sent l’orage.
Le mot techniquement est le plus traitre. Il fait apparaître, comme par magie, des discussions que tu ne veux (immédiatement) surtout pas ouvrir : les dépendances, les intégrations, les API, les logs, les cas limites, la scalabilité…
C'est un véritable buffet à volonté pour prospect anxieux.
Ce n’est pas que tu dois cacher la complexité mais tu dois simplement la présenter au moment où elle est utile, et pas comme une excuse anticipée.
Tu sais que j'aime bien aborder l'angle psychologique des choses. Quand un SE prononce ces mots, c’est souvent pour :
- Combler un silence
- S’excuser d’un manque (réel ou imaginaire)
- Préparer le prospect à une éventuelle imperfection (je te conseille mon numéro sur le sujet)
- Compenser la peur de « trop promettre »
- Lisser un discours qu’on n’assume pas totalement
Et au final, tous ces mots, quand ils sont additionnés, créent des problèmes très concrets :
- Ils amoindrissent ta crédibilité (assurance et maîtrise).
- Ils rompent l’élan narratif car ils introduisent des micro-hésitations.
- Ils dégradent la perception du produit car si ton prospect pense « Si lui-même n’y croit pas à 100 %, pourquoi je devrais y croire ? », c'est mal barré.
- Ils donnent du pouvoir au doute, et le doute empêche les décisions.
Les conséquences commerciales peuvent être fâcheuses :
- Ils confortent les objections
- Ils ouvrent des discussions inutiles
- Ils réduisent la puissance des moments clés
- Ils donnent au concurrent un avantage implicite
- Ils affaiblissent la position de l’AE dans le cycle
Oui oui, mais alors Philippe, comment puis-je m'en débarrasser sans perdre mon naturel ?
L’objectif n’a jamais été de devenir rigide : c'est d’épurer ce qui nuit à ton propos, pas d’en changer la nature !
- Les mots d’excuse : on les retire car ils n’apportent rien.
- Les mots d’incertitude : on essaye de les transformer en formulations plus précises.
- Les mots d’auto-sabotage : on les remplace en cadrant mieux les choses pour faire passer la complexité.
Et pour progresser rapidement, je te recommande un autre exercice simple : enregistre une de tes démos et écoute-la comme si tu étais un prospect.
Tu vas découvrir des choses que tu ne soupçonnais pas : des tics, des formulations qui passent trop vite, des zones où ton corps parle à la place de tes mots.
Tu progresseras trois fois plus vite que tu ne le penses.
Et toi… ? Quel est le mot que tu continues d’utiliser machinalement dans tes démos et que tu n’avais peut-être même pas repéré avant aujourd’hui ?
Merci d’avoir lu ce numéro, assez court aujourd'hui car j'ai yoga.
Si tu veux partager ce numéro à un collègue SE, fais-lui ce cadeau. Et si tu veux soutenir SolutionScience, tu sais où cliquer !
On se retrouve vendredi prochain.
Philippe