SolutionScience #019 | Arrête de torturer tes prospects avec PowerPoint
Un collègue m’a dit un jour :
« Si ton deck dépasse 50 slides, tu dois prévenir les secours. »
Je me souviens encore du jour où j’ai compris que mes présentations PowerPoint faisaient plus de mal que de bien.
Je travaillais chez Adobe à l'époque. C’était un meeting important, l’un de ceux où tu veux montrer que tu maîtrises vraiment ton sujet, que tu as préparé quelque chose de solide et de structuré. J’arrive donc en soutenance avec mon deck. Un monstre de plus de 80 slides. À l’époque, ça me semblait tout à fait normal, et même presque rassurant.
Comme si la quantité compensait l'incertitude...
Mon AE a déjà mangé une bonne partie du temps imparti, et, au bout de six minutes, je suis déjà en train de passer les slides à toute vitesse, avec ce commentaire un poil honteux que tu as sûrement déjà prononcé en live toi aussi :
« On va passer rapidement sur celle-ci… »,
« Celle-ci aussi… »,
« Ça c’est juste du contexte… »,
« Ça c’est très technique… »,
Le prospect (le décideur) regardait avec une politesse qui sonnait un peu creux. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’il ne suivait déjà plus ce que je racontais. Puis il a lâché la phrase qui continue encore aujourd’hui à me servir de rappel :
« On peut passer à la démo ? »
Ce jour-là, j’ai compris que le problème n’était pas mon expertise : c’était le format que j’avais choisi pour la porter.
Mon PowerPoint !
Avec le recul, je me rends compte à quel point PowerPoint est un outil étonnamment dangereux pour nos petits cerveaux de presales.
Le problème n'est pas qu’il est si mauvais que ça (enfin... si). Le problème est qu'il ne met aucune limite à la création de choses inutiles : il t’encourage à ajouter, jamais à retirer.
Tu pars avec une bonne intention : clarifier ton message. Pourtant, tu te retrouves à la fin avec un deck qui ressemble plus à un dossier de candidature à l’ONU qu’à une présentation orientée solution.
Une présentation PowerPoint crée un artefact inutile dans 80 % des cas :
- trop de slides « je mets ça au cas où »,
- trop de blabla marketing,
- trop d’effets visuels qui détruisent la narration,
- trop de discours génériques,
- et en fait, pas assez de substance utile pour le prospect.
Je suis d'ailleurs certain que le « au cas où » a détruit plus de présentations que n’importe quelle roadmap bancale.
Le vrai problème, c'est qu'on pense que PowerPoint (et compagnie) sont des outils qui structurent la pensée alors qu'en réalité... ils la diluent.
Le SE se réfugie dans un deck parce que c’est rassurant, parce que « ça fait pro », parce que tout le monde fait pareil.
Mais soyons honnêtes...
On met trop de slides parce qu'on a peur. Et toi, mon ami SE, tu portes la somme de toutes les peurs de ton organisation :
- peur d’oublier un point important,
- peur que le prospect pense que tu n’es pas préparé,
- peur de ne pas avoir l’air pro ou pas assez corporate,
- peur que ton AE demande un truc pas prévu,
- peur du vide, du moment où tu dois réellement expliquer quelque chose sans béquille visuelle.
La vraie raison des decks indigestes n’est donc pas technique : elle est psychologique.
Un deck trop long ne fait pas que fatiguer le prospect : il te fait aussi glisser dans un rôle qui n’est pas le tien. Tu n’es plus le « trusted advisor » attendu, celui qui aide le prospect à comprendre la valeur de ta solution. Tu deviens le commentateur de ton propre écran.
Le prospect, de son côté, voit défiler :
- des slides qu’il a déjà vus chez 5 concurrents,
- des messages marketing tellement abstraits qu’ils pourraient être affichés au MoMA,
- dix features dont il se fout complètement,
- des schémas d’architecture tellement surchargés qu’ils déclenchent spontanément des migraines (c’est simple : si ton schéma ressemble à un plan de métro tokyoïte, tu as raté quelque chose...),
- un Gartner Magic Quadrant (qui est la version B2B du « regarde maman, la maîtresse m'a donné un bon point »),
- une carte du monde pleine de petits points, dont l’utilité réelle reste encore un mystère.
Là où tu crois installer ta crédibilité, tu crées juste une distance avec ton audience.
Les prospects n’ont pas besoin d’une démonstration de force : ils ont besoin qu’on parle d’eux, de leur problème, de leur contexte, de leurs contraintes internes.
Tout le reste n’est qu’un bruit de fond que ton deck amplifie inutilement.
Après cette fameuse réunion, j’ai commencé à faire quelque chose qui me terrorisait : j’ai supprimé des slides. J’ai senti un mélange de panique et de liberté, un peu comme quand tu enlèves les petites roulettes de ton vélo.
Ça a été vraiment difficile au début. Très difficile.
J’ai coupé mon premier deck de moitié. Puis plus encore. Jusqu’à comprendre qu’une présentation courte n’est pas une présentation pauvre : c’est une présentation assumée.
Après plus de 15 ans à présenter des decks, voici ce que je constate :
- Le deck court crée beaucoup plus d’attention
Une dizaine de slides ultra-adaptées à la situation du prospect (et construites autour d'un fil narratif) change complètement l’énergie du meeting. Tu vois les gens être attentifs, prendre des notes. Ils posent des questions qui ont du sens. Ils participent au meeting.
- Les slides orientées valeur remplacent celles orientées feature
Quand tu montres un deck bourré de fonctionnalités, tu perds en général tout le monde. Quand tu expliques « le coût réel de votre problème aujourd’hui », là tout le monde écoute.
- Souvent… aucune slide, c'est la meilleur slide
Les meilleurs visuels sont souvent les plus simples. Par exemple, je passe énormément de temps à conceptualiser des idées avec mes prospects sur des whiteboards (réels ou virtuels), ou encore à présenter des schémas ou des architectures via Miro, voire même sur une feuille de papier sur laquelle j'oriente ma webcam. C'est en général beaucoup plus engageant que 20 slides conçues par le marketing. Pourquoi ? Parce que tu construis avec le prospect et tu réfléchis avec lui, pas pour lui.
Je te propose maintenant 6 principes actionnables qui, s’ils deviennent des réflexes, changeront vraiment ta manière de concevoir une présentation :
- Élimine plus que tu ne crois nécessaire : prends ton deck, retire 50 % de ce qui n’est pas indispensable, et regarde ce qui reste. C’est souvent là que se trouve la vraie présentation utile.
- Oublie les slides marketing génériques : la slide de 100 logos exhibés comme des trophées, la slide « présence internationale », la slide « notre vision 2030 », la slide Gartner… Toutes ces horreurs vivent très bien sur la page corporate.
- Une slide ne doit transmettre qu’une seule idée : si tu dois la commenter plus de deux minutes, ce n’est plus une slide, c’est un document de travail.
- Ose le meeting sans slides : fais-le au moins une fois, aligné avec ton AE. Même juste pour une partie du meeting. Tu verras immédiatement ce que ça change dans la posture du prospect et dans la dynamique de conversation.
- Envisage sérieusement d’arrêter PowerPoint : PowerPoint te donne l’illusion du contrôle, mais en réalité il transforme chaque idée claire en mini-usine à slides. C’est probablement le pire format pour une présentation : trop de possibilités et trop peu de contraintes. Essaie Keynote, Pitch (mon préféré), Miro, etc. Tu verras à quel point ton message respire mieux dès que tu sors de l’emprise de PowerPoint.
Avec le temps, j’ai réalisé que simplifier n’est pas un geste esthétique mais un acte de maturité. Ce n’est pas » faire moins » : c’est faire mieux.
PowerPoint ne t’a jamais demandé d’être bavard : il t’a juste laissé la possibilité de l’être. À toi de décider que tu ne veux plus l’être !
On devrait d'ailleurs avoir un équivalent presales du « Dry January » : un mois sans ajouter une seule slide.
Et toi… ? Quelle est la slide que tu t’obstines encore à garder « au cas où », alors qu’elle n’a plus rien à faire dans tes meetings ?
Merci pour ta lecture !
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On se retrouve vendredi prochain !
Philippe