SolutionScience #017 | Le perfectionnisme n’est pas une qualité, même chez un SE !
Je pense que tu connais bien ce moment.
Ce moment où tu passes un peu (voire beaucoup) trop de temps à aligner les icônes d’une slide au pixel près. À vérifier que les espacements des marges sont parfaits, que la taille des titres est identique sur chaque slide... que tout est droit, propre, parfait.
Tu crois que c’est de la rigueur, du sens du détail comme on dit… mais en réalité, c’est juste une façon de te rassurer.
J’ai fait ça pendant des années.
Pendant longtemps, j’ai confondu exigence et perfection. Je croyais que plus tout était carré, plus j’étais crédible face aux prospects et aussi en interne. Mais la vérité, c’est que plus je cherchais la perfection, plus je m’éloignais de ce qui compte vraiment quand on est SE (et AE) : la clarté et la confiance.
Le perfectionnisme n’est pas une qualité, sois très clair la-dessus ! C’est une peur qui se déguise un peu trop bien. C'est en fait une vraie tare. Et dans notre métier, c’est même un poison très particulier : il est souvent difficile à identifier, la plupart du temps valorisé, et pourtant terriblement destructeur.
J’ai fini par comprendre que ce besoin de tout maîtriser n’avait rien à voir avec la qualité du travail. C’était juste une façon de garder la peur à distance, un réflexe de contrôle typique, psychologique, voire biologique.
Le perfectionnisme, ce n’est pas « vouloir faire le mieux possible », cela n'a rien à voir avec ça : c’est une tentative de contrôle souvent inconsciente pour éviter le sentiment de honte, les erreurs, et donc le regard des autres.
Tu le sais maintenant : j'adore comprendre, à mon niveau, les comportements humains. En psychologie, on parle d’un mécanisme d’évitement.
Le perfectionniste ne cherche en réalité pas à briller : il cherche à ne jamais être pris en défaut. Et chez les SEs, ce réflexe trouve un terrain idéal. Côté Presales, tout ce que tu fais est exposé, souvent jugé par des gens qui ne comprennent même pas ton rôle. Alors tu surcompenses. Tu veux tout anticiper, tout contrôler, pour qu’on ne puisse jamais dire que le problème vient de toi.
Quand tu auras réalisé ça, ça ira déjà mieux !
Il existe deux grandes formes de perfectionnisme :
- Celle tournée vers soi : je dois être parfait, sinon je ne vaux rien,
- Celle tournée vers les autres : je dois être parfait, sinon ils me jugeront.
Pour en avoir côtoyé des centaines, je peux te dire qu'un grand nombre de SEs cumulent les deux ! Ajoute à ça des deadlines délirantes, la pression du quota, des AEs à cran en fin de quarter et des produits imparfaits… et tu obtiens une recette explosive !
J’ai (trop) longtemps cru que mon exigence me rendait meilleur SE alors qu'en réalité, elle m’épuisait. Car le perfectionnisme ne m'a jamais rendu plus compétent... Il m'a juste rendu plus tendu.
Le rôle de SE, soyons honnêtes, est une machine à déclencher des réflexes perfectionnistes. Tout dans ce métier flatte ton besoin de contrôle :
- Tu dois vendre sans vendre,
- Tu dois convaincre sans manipuler,
- Tu dois maîtriser sans dominer,
- Tu dois expliquer sans jamais t’égarer.
Tes démos se jouent en direct dans un timing que personne ne respecte, la solution que tu défends n’est jamais parfaite, et ton AE te regarde comme si tout dépendait de toi. Tout, absolument tout, alimente ton besoin de maîtrise… et donc ta peur de rater.
Tu compenses, donc.
Tu prépares des dizaines de slides annexes pour un même deck « au cas où », tu crées des animations « subtiles » sur chaque slide pour fluidifier la narration (ne fais pas ça, please), tu revois ton script jusqu’à pouvoir le réciter en dormant (et parfois, tu le fais vraiment), tu réponds à un RFP de 300 questions comme si c’était une épreuve écrite, alors que les trois quarts des réponses ne seront jamais lues.
Et le pire, c’est que tout le monde te félicite :
« Il est très carré »
« On peut toujours compter sur lui »
« Il pense à tout »
Oui. Et c’est précisément ça le problème !
Ce métier, c’est la combinaison parfaite : une visibilité et une exposition maximales et pourtant un contrôle minimal. C'est un environnement où tout peut dérailler sans que ce soit de ta faute mais où tu seras quand même celui qui s’en voudra.
Alors tu compenses en t’accrochant à ce que tu peux (crois) maîtriser.
Je crois que le perfectionnisme n’explose jamais violemment. Il s’infiltre. Le hic est que tout le monde le confond avec du professionnalisme.
Et ça marche !
On te félicite en interne et on te cite en exemple, on te confie les dossiers sensibles. Tu deviens avec une certaine fierté « celui qui ne laisse rien passer ». Tu es « un SE fiable ». Mais cette étiquette a un prix : tu dors mal, tu penses boulot en boucle, et ton cerveau carbure à la caféine et à la peur de rater.
Mais à force, il freine grandement ta progression :
- Tu n’expérimentes plus vraiment car tu redoutes l’échec,
- Tu ne délègues plus car tu es persuadé que personne ne fera aussi bien,
- Tu perds le sens car tu es totalement obsédé par la forme,
- Tu oublies la valeur pour te concentrer sur la validation.
Le perfectionnisme, c’est ça : une façon polie et corporate de ne jamais se sentir à la hauteur. Et tant que le métier t’applaudit pour ça, tu continues à t’user sans t’en rendre compte.
Il y a un moment où tu dois comprendre que viser la perfection, c’est courir après une ligne d’horizon : plus tu avances, plus elle s’éloigne. Le vrai déclic, c’est de troquer cette obsession contre quelque chose de beaucoup plus sain et utile : la précision, ce qu'on peut appeler « le sens du détail » dans le bon sens du terme (c'est à dire pas tous les détails mais ceux qui comptent vraiment)
La précision, c’est autre chose que la perfection : c’est savoir quand s’arrêter. C’est choisir ce qui mérite vraiment de passer du temps et de l'énergie. En gros, c’est quand tu passes vingt minutes non pas à réaligner des logos, mais à reformuler une phrase qui change la compréhension de ton prospect.
Le SE précis n’essaie plus selon moi d’être parfait, il cherche à être percutant. Il sait que dans une démo, mieux vaut un client rassuré qu’impressionné. Mieux vaut être crédible que brillant. Mieux vaut livrer à temps que peaufiner sans fin !
Et surtout, un bon SE a compris que l’imperfection n’est pas un défaut : c'est une nécessité du métier !
La perfection rassure l’ego. La précision sert le métier.
Sortir du perfectionnisme (ou a minima s'en détacher) ne se fait pas en lisant cinquante bouquins de développement personnel ou en récitant des mantras sur la confiance positive. Ça demande un vrai travail : désapprendre le sur-contrôle, tolérer l’inachevé, et voir l’erreur comme un signal, pas un problème.
Voici ce qui m’a vraiment aidé sans perdre mon exigence, même s'il m'arrive en toute honnêteté (mais rarement) quelques chatouilles de perfectionnisme :
- Accepte ce qui « semble » inachevé : si tu livres un deck imparfait, tu le livres quand même. Ton prospect n’attend pas une œuvre d’art : il veut comprendre si ta solution peut résoudre son problème, rien d'autre.
- Boucle tes livrables à 90-95 % : les 5-10 % restants, c’est la zone du stress inutile : les micro-ajustements que personne ne voit (vraiment) et qui te font perdre un temps invraisemblable. Ferme ton deck, envoie-le, et passe à autre chose.
- Fixe-toi des limites, même si ça paraît ridicule : tu veux « juste retoucher une slide » ? Tu sais comment ça va finir. Mets-toi un minuteur de 10 minutes max. Passé ce timing, tu arrêtes.
- Ne cherche pas à impressionner, cherche à être clair : tu gagnes plus à ce qu’un prospect dise « j’ai compris » qu’à ce qu’il dise « c’était parfait ». Et souvent, la clarté demande de simplifier, pas d’ajouter !
- Reviens toujours à la valeur : demande-toi si ce que tu fais aide vraiment ton prospect à décider. Si la réponse est non, alors arrête-toi : c’est un réflexe simple qui casse la boucle du perfectionnisme.
- Et surtout, respire avant la bascule : le quart d’heure avant une grosse soutenance, une démo importante, une présentation… c’est celui où tu crois qu’il faut tout vérifier. Faux ! C’est le moment où il faut que tu sortes de ta tête, alors marche, respire, débranche.
Je te conseille aussi de lire ce magnifique livre écrit par Tala Ben-Shahar intitulé « L'apprentissage de l'imperfection ». Cela a été un déclic pour moi.
Le perfectionnisme n’est pas une vertu. Ta vraie valeur, c’est ta capacité à créer du sens dans l’incertitude. Dans le métier de Presales, je crois que le plus grand signe de maturité, c’est la présence tranquille de celui qui a cessé de vouloir tout maîtriser.
Et toi, qu’est-ce que tu ne livres pas aujourd’hui parce que ce n’est pas « assez parfait » ?
Merci d’avoir lu jusqu’ici, surtout pour un sujet qui pique un peu !
Si tu t’es reconnu dans ces lignes, c’est déjà un bon signe : ça veut dire que tu es lucide. Le reste va suivre.
On se retrouve vendredi prochain pour un nouveau numéro de SolutionScience.
En attendant, si ce texte t’a parlé, partage-le à ton équipe ou à ce collègue qui ajuste encore ses formes sur son PowerPoint à 23h.
Philippe