SolutionScience #015 | Stress et Presales : comment survivre à un métier sous tension permanente ?

SolutionScience #015 | Stress et Presales : comment survivre à un métier sous tension permanente ?

Numéro bouclé à 19h30 ce vendredi. À lire tranquille ce week-end, sans Slack, sans AE, sans rush. C’est un numéro un peu spécial, plus long que d’habitude, mais je te conseille de le lire en entier ! On vit dans un monde où tout doit être plus rapide, plus court, plus « snackable ». Je fais le pari inverse : j’écris et je développe mes réflexions. Et dans ce numéro, je parle aussi un peu de mon histoire...

Tu as peut-être déjà connu ce moment (pas super sympa) avant une démo.

Tout est prêt. Ton workspace fonctionne au poil, la trame est validée avec ton AE et pourtant... tu sens un truc bizarre « à l'intérieur ».

Ce n'est pas une panique ouverte, non, mais un fond de tension qui s’installe sans vraiment te prévenir.

Souffle court, épaules raides, gorge serrée, mains tremblantes, bref, ton corps s’emballe. Tu as l'impression d'étouffer. Tu répètes en boucle « que tout va bien » pour garder le contrôle. Tu le fais des dizaines de fois par an, mais cette fois-ci, ton corps ne semble plus vouloir suivre.

C’est à ce moment-là que j’ai compris à quel point ce métier peut user progressivement, sans qu’on s’en aperçoive. Et je ne parle pas d’un stress ponctuel (et souhaitable) avant une soutenance. Je parle du stress qu'on appelle « chronique » qui s’installe, qui te colle à la peau et finit par t’accompagner partout, même quand tout va bien.

J'y ai été confronté très brusquement fin 2016, après avoir rejoint Adobe. « the hard way » comme on dit chez nos copains britanniques. Un changement de poste assez classique, voire banal, sur le papier. Rien de menaçant en ce qui me concerne : une belle boîte, un poste clair, une équipe bienveillante et un top manager.

Et pourtant, quelques semaines plus tard, j’étais au bord du gouffre.

Des crises d’angoisse à répétition, une tension permanente, une peur diffuse que je n’arrivais même pas à nommer. Je vivais dans une alerte continue, comme si mon corps refusait la moindre détente.

Le plus étrange, c’est qu’il n’y avait aucune raison rationnelle à tout ça : rien de traumatisant, aucune pression anormale. Juste une accumulation de petits déséquilibres que je n’avais pas su (ou voulu) voir venir. Le stress s’est infiltré sans bruit, puis il a tout pris : mon énergie, mon sommeil, ma concentration, mon humour et même le plaisir de travailler.

Ce que je n’avais pas compris à l’époque, c’est que le stress n’a pas besoin d’un événement grave pour te retourner. Il suffit d’un déséquilibre ou d’un petit écart entre ce que ton corps supporte et ce que tu lui imposes.
Il attend patiemment que tu arrêtes de l’écouter, puis il te reprend de force.

Ces deux années ont été un cauchemar, mais aussi une initiation.
J’ai dû tout apprendre, seul. Comprendre ce qui se passait, comment calmer mon système nerveux, comment ne plus paniquer face à mes propres réactions physiques.

J’ai lu, testé, observé, expérimenté.

Et petit à petit, j’ai compris que le stress n’était pas là pour me détruire. Il essayait juste de me prévenir que je m’étais complètement déconnecté de moi-même.

Ce n’est pas une surprise : le métier de SE n’est pas juste exigeant : il est structurellement stressant.

On évolue dans un climat anxiogène permanent, parce que tout y est conçu pour stimuler et presser en continu.

Tu es en effet secoué en permanence par les AEs, par les prospects, par ton manager. Tu dois être compétent, pédagogue et calme, même quand tout brûle autour. Tu passes pourtant ton temps à absorber les angoisses des autres : tu veux rassurer le client, soutenir ton AE, répondre à tout le monde et tout de suite.

Le SE vit dans ce paradoxe permanent : il doit produire des résultats sans avoir la main sur la décision. Et c’est là que le stress s’installe. Ce décalage entre le niveau d’investissement émotionnel et le niveau de contrôle réel, c’est la définition même de la tension chronique !

Le stress devient alors un état de fond. Tu crois que c’est de l’énergie, de l’adrénaline, que tu « fonctionnes bien sous pression ».

En réalité, tu brûles ton système nerveux à petit feu.

Pourquoi ça s’emballe chez un SE ? Parce que ton cerveau est un moteur de prédiction qui prend son rôle un peu trop au sérieux : il compare en permanence ce que tu attends à ce qui arrive vraiment. Plus l’incertitude et l’enjeu « perçu » sont élevés, plus le curseur monte !

Le hic, c'est qu'on parle ici des trois « ingrédients » typiques de notre job : 

  • Incertitude permanente (tu ne contrôles pas la décision),
  • Menace sociale (peur d'être jugé),
  • Charge cognitive (multitâche extrême en contexte mouvant).

Résultat : l’alarme se déclenche même sans danger physique réel, simplement parce que le système perçoit un risque pour ton statut, ta compétence ou ta sécurité psychologique.

Spoiler : le stress ne se gère pas, il se régule. Et pour réguler, tu dois jouer sur trois leviers : le corps, l’esprit, l’émotionnel.

  • Le corps : c’est la première ligne. Quand tu stresses, ton système nerveux active sa branche sympathique, celle qui prépare ton corps à l’action : ton rythme cardiaque s’accélère, tes muscles se contractent, ta respiration a tendance à se bloquer. C’est parfait pour réagir à un danger physique et fuir (ou combattre), mais catastrophique quand la menace n'est pas vraiment réelle et que cela devient ton état par défaut. Tant que ton corps reste coincé dans cet état d’alerte, ton cerveau continue de croire qu’il y a un problème. C’est pour ça que les techniques de respiration et l'activité physique en général sont indispensables. Elles ferment la boucle physiologique : ton système comprend que le danger est passé et peut alors redescendre.
  • L’esprit : c'est le « commentateur » : c’est lui qui entretient l’incendie quand tout devrait être relativement calme. Il anticipe, exagère (souvent), rejoue les erreurs, imagine des scénarios catastrophes. Et ton corps, très obéissant, réagit à chaque pensée comme à une menace potentielle. Ce qu'on appelle souvent le travail mental consiste donc à corriger la prédiction (et non pas à penser positif). C’est reconnaître que la peur est souvent une fiction, que tu peux te tromper sans que l’erreur ne remette ton identité en jeu. Et ça, c’est un entraînement cognitif quotidien : observer, relativiser.
  • L’émotionnel : disons que c'est le régulateur social. Je n'ai pas trouvé autre chose, désolé. C’est lui qui gère la peur de décevoir, le besoin d’être reconnu, la culpabilité quand tu dis non, etc. C’est le plus silencieux des trois, mais le plus corrosif à long terme. Parce que tout ce que tu n’exprimes pas, ton corps le stocke sous forme de blocage émotionnel. On dit d'ailleurs « ce qui ne s'exprime pas s'imprime ». Apprendre à poser des limites, à parler, à relâcher la pression relationnelle, c’est aussi une forme de régulation physiologique. Les émotions non digérées finissent toujours par se traduire en symptômes physiques (on appelle cela « somatiser ») : tensions, douleurs, épuisement, etc.

Le stress devient chronique quand l’alarme reste allumée trop longtemps : hypervigilance, sommeil haché, digestion en vrac. Ce n’est pas une faiblesse « morale » mais un système mal régulé qui a perdu sa capacité d’alternance entre effort et récupération. La sortie durable de cet état chronique passe donc par un trio indissociable : freiner le corpscorriger la « prédiction » et reposer le cadre émotionnel (souvent relationnel). Si tu n’en traites qu’un, les deux autres te ramènent au point de départ.

C’est ce que j’ai mis des années à apprendre, dans la douleur.

Oublie les recettes abstraites des magazines de santé : ce sont des gestes concrets et répétés qui empêchent cette chronicité, pas des formules magiques.

Je te partage ceux qui ont tout changé pour moi, en les classant selon les trois leviers que j'ai exposés juste avant :

  1. Le corps : évacuer, réguler, bouger

C’est le levier le plus concret, et pourtant celui que beaucoup négligent ! Tu peux lire tous les livres du monde sur la gestion du stress : si tu ne mets pas en pratique et que ton corps ne redescend pas... rien ne changera.

  • Cohérence cardiaque 3.6.5 : c’est une méthode scientifique, simple et très efficace, popularisée par David O’Hare dans son excellent livre Cohérence Cardiaque 3.6.5 que je recommande très chaudement. Le principe est ultra simple : trois fois par jour, pendant cinq minutes, tu respires calmement avec cinq secondes d’inspiration et cinq secondes d’expiration. Rien de plus ! Ce rythme n'est pas choisi au hasard : il rétablit la communication normale entre ton cœur et ton cerveau (d'où le nom cohérence cardiaque). Résultat : ton système nerveux parasympathique (celui du calme et de la récupération) reprend le dessus et au bout de quelques jours, tu dors mieux, ta variabilité cardiaque augmente et ton stress diminue. C’est probablement la pratique la plus simple et la plus puissante que je connaisse pour le moment.
  • Marche rapide après les moments tendus : après une soutenance, une démo compliquée ou un meeting un peu frustrant, ne reste jamais assis à ruminer. Sors marcher dix minutes, sans téléphone. Cette courte phase d’activité aide ton corps à éliminer le cortisol en excès.
  • Mobilité toutes les deux heures (max) : un corps figé envoie au cerveau un message de danger constant. Je te conseille de bouger très régulièrement, même juste deux minutes. Étire-toi, lève les bras, fais tourner les épaules, fais quelques squats, et respire profondément. J’utilise l’app GOWOD car elle me propose automatiquement des routines adaptées à la position assise prolongée (le mal).
  • Activité physique régulière : c’est clairement non négociable. Je fais de la musculation (TRX et/ou haltères) deux à trois fois par semaine, du Pilates et du yoga deux fois également, et je marche beaucoup tous les jours pour vider la charge nerveuse. Le sport relance la circulation, équilibre les hormones et t’empêche de rester enfermé dans le mental. Plus tu restes inactif, plus tu laisses de place au stress pour s’installer.
  1. L’esprit : cadrer, relativiser, exprimer

Le mental amplifie tout ! Il prend un petit signal de stress et le transforme en film catastrophe. Ton objectif est de recaler la réalité pour que ton cerveau arrête de déclencher de fausses alertes.

  • Surveille ton langage intérieur : le stress commence souvent dans la grammaire. Par exemple, le mot « absolument » est un poison discret :
« Il faut absolument que je réussisse cette démo. »
« Il faut absolument que le client soit convaincu. »
« Il faut absolument signer ce deal. »

Chaque « absolument » transforme ton objectif en menace vitale. Remplace-le par « j'aimerais » car ton système nerveux comprend la nuance : il arrête de croire que tout est une question de survie. Je te conseille de lire le bouquin d'Albert Ellis intitulé How to Control Your Anxiety: Before it Controls You, qui développe ce sujet en profondeur.

  • Le « pire raisonnable » : quand la panique monte, je me pose toujours la même question : dans le pire scénario réaliste, qu’est-ce qui se passe en vrai ? Je me plante, mon AE soupire un peu, le client fronce les sourcils. Bon ok, et après ? Rien. Je suis toujours en vie. Ce petit exercice ramène le cerveau dans la rationalité. Il désactive le mode danger en prouvant par A + B que la catastrophe n’est qu’une hypothèse de fiction qui a très peu de chances de se produire.
  • Écris, parle et extériorise : « ce qui ne s’exprime pas s’imprime. ». Le stress non dit devient tension physique. Quand c’est trop chargé, j’en parle avec un collègue, un ami, quelqu’un qui écoute sans juger. Tu n’as pas besoin de tout analyser, juste de vider le trop-plein de temps en temps.
  1. L’émotionnel : relâcher, ritualiser, reconnecter

C’est la partie la plus sous-estimée, et pourtant la plus puissante. Le stress, c’est souvent une émotion bloquée comme une peur, une colère, une culpabilité qu’on n’a pas osé exprimer. Ce que tu ne règles pas dans l’émotion, ton corps finira toujours par le traduire en tension. Toujours.

  • Apprends à dire non : les SEs ont tendance à porter beaucoup. Ils veulent sauver les opps, aider leurs copains AEs, combler les failles du produit. Mais dire non, ce n’est pas refuser d’aider : c’est poser un cadre pour ne pas exploser. Reporter une démo quand la discovery a été bâclée, c’est une sorte d'hygiène mentale, pas un acte de rébellion !
  • Reconnecte-toi aux autres : le stress adore l’isolement. Il te fait croire que tu dois tout gérer seul, que personne ne comprend ta pression. Mais les émotions se régulent par le lien : partager une galère, parler d’un échec, etc. La régulation des émotions, c’est d’abord ça : du contact et du lien humain.

Avant d’en finir avec ce sujet, je voulais aussi partager d'autres petits trucs que j’ai intégrés à mon quotidien au fil des années. Des choses simples, parfois bizarres (ou plutôt étonnantes), mais redoutablement efficaces pour tenir dans la durée.

  • Ostéopathie : remettre les compteurs à zéro. Quatre fois par an, jamais moins. Ce n'est pas uniquement pour retrouver de la mobilité articulaire : un bon ostéo travaille aussi sur les organes internes, le diaphragme, les intestins, l’estomac, là où le stress s’accumule physiquement. À chaque séance, je repars avec la sensation d’avoir retrouvé de l’espace à l’intérieur, d'être libéré.
  • Chi Nei Tsang : libérer ce qui est coincé. C’est un massage abdominal d’origine taoïste, profond et parfois un peu douloureux, mais c’est l’un des plus efficaces que je connaisse. Il agit directement sur la sphère ventrale, là où se cristallisent les émotions non digérées. C’est désagréable sur le moment, mais incroyablement libérateur dans les jours qui suivent une séance.
  • EFT (Emotional Freedom Technique). Ma préférée ! C’est une méthode de tapotement de points d’acupuncture tout en verbalisant ce qu’on ressent. Je la pratique seul quand je sens une tension revenir, et plus ponctuellement avec un praticien formé. Ça peut paraître très étrange au début (en tout cas pour les occidentaux), mais c’est étonnamment efficace pour désactiver les charges émotionnelles bloquées. Je te recommande de lire ce petit guide de Gary Craig, l'homme derrière la méthode EFT.
  • Aromathérapie ciblée : les huiles essentielles ne remplacent rien mais elles aident beaucoup. En cas de pic de stress, je mélange quelques gouttes de lavande vraie et de petit grain bigarade de chez Pranarôm dans un peu d’huile de macadamia. Après une application sur le plexus solaire, en cinq minutes, mon corps se détend. C’est simple, naturel, et ça fonctionne.
  • Compléments alimentaires : nourrir le système nerveux. J’utilise des multivitamines naturelles (peu de molécules de synthèse), du magnésium bisglycinate (et surtout pas marin, inutile car peu biodisponible), de la glycine le soir pour le sommeil, et de l’ashwagandha pour réguler la réponse au stress. J’ajoute aussi des oméga 3 de qualité, sous forme d’huile de lin ou en gélules. Si tu veux une recommandation de marque (pas un Bion3 de pharmacie), je fais confiance à Nutripure depuis un bout de temps : les produits sont de grande qualité, la transparence est maximale et le sourcing est exceptionnel. Le contenu éditorial est aussi vraiment top.
  • Rescue (Fleurs de Bach) : une pipette et quelques gouttes en cas de pic de stress soudain, ça marche direct !
  • Méditation de pleine conscience : pas pour atteindre un état « zen », mais pour revenir dans le présent. Entre quinze et trente minutes par jour, juste pour observer ce qui se passe. C’est la pratique la plus simple pour rééduquer ton système nerveux à ne pas réagir à tout, tout de suite.

Et voilà ! Je crois que tu es bien armé maintenant.

J’ai mis des années à comprendre que le stress n’était pas un ennemi : c’est juste une alarme. Il se déclenche quand quelque chose n’est plus aligné entre ce que tu veux et ce que tu vis réellement : ton rythme, ta charge, tes aspirations, tes rêves, tes limites... ou ta façon de les ignorer.

Le but n’est pas de vivre sans stress : c’est impossible, et pas vraiment souhaitable. Le stress, c’est aussi ce qui te rend vif, concentré et vivant. Mais il faut lui apprendre à redescendre, à ne pas devenir ton état par défaut. Quand tu comprends son langage, il arrête de te punir et (re)commence à te guider.

Alors, apprends à t’arrêter, à respirer, à dire « non » (ou « nein » si tu es allemand).

Et toi, est-ce que tu sais encore faire la différence entre la tension qui te porte et celle qui t’épuise ?

Merci d’avoir pris le temps de lire ce long numéro !

Si tu t’es reconnu dans ce que j’ai décrit, c’est normal : on est nombreux à vivre cette intensité sans toujours savoir quoi en faire. Si tu veux en discuter, tu peux m'envoyer un message sur LinkedIn ou ailleurs.

SolutionScience revient vendredi prochain.

Et enfin, si tu penses que ce numéro peut aider un collègue à souffler un peu, partage-le !

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