SolutionScience #014 | Le case study : la preuve la plus mal utilisée côté Presales

SolutionScience #014 | Le case study : la preuve la plus mal utilisée côté Presales

Je crois bien que j’ai perdu le compte des démos où mon AE a glissé un cas client à la fin un peu de manière aléatoire et « histoire de montrer un peu les muscles et les gros logos ».

S’il reste un peu de temps avant d’enchaîner sur les next steps.

C'est souvent la même séquence et je pourrais parler d'un rituel : une grille avec une dizaine de logos, fièrement exhibés parce qu’ils sont connus, puis viennent ces fameux « case study » sortis tout droit de slides marketing : on balance quelques chiffres d’impact posés sans aucun contexte business (tu connais certainement les envolées du genre +250 % de la série « toujours plus loin, toujours plus fort »), puis enfin quelques phrases si génériques qu’on pourrait les appliquer à n’importe quel client. Bref, un beau programme.

Je te donne le genre de titre qui me fait frémir à chaque fois :

« Comment Nitflex a surpassé ses objectifs marketing en quadruplant son ROI en 3 mois et en divisant par 4 ses coûts d'acquisition. »

Résultat : tout le monde hoche la tête par politesse, et la valeur de la solution reste 100% abstraite.

Et de toute façon, en fin de meeting, ton prospect a déjà rouvert ses mails !

Je trouve que c’est dommage, parce que la plupart des SEs ont des histoires incroyables (issues de la vraie vie) à raconter. Des prospects devenus clients qu’ils ont accompagnés pendant des mois en avant-vente, des implémentations tordues qu’ils ont réussi à débloquer, des succès réels qu’ils pourraient partager avec sincérité.

Pourtant, toutes ces choses ne sont presque jamais intégrées aux flux de démo, et rarement racontées comme des histoires. Quand on parle du succès d'un client, c'est souvent de la soupe marketing aseptisée, pleine de chiffres lissés.

Et pourtant, le « case study » est souvent la preuve la plus forte qu’on ait entre les mains pour séduire un prospect. Il ancre la solution dans le réel, il transforme une promesse en histoire crédible. Mais on l’utilise comme un accessoire, pas comme un levier. On cite un logo comme un trophée de chasse, au lieu d’en faire un « miroir narratif », c'est-à-dire la projection du succès d'un client existant vers les propres enjeux du prospect.

Alors forcément, à force de voir ces « success stories » tourner un peu à vide, j’ai fini par me dire :

« Qu’est-ce qu’on attend, nous les SEs, pour en faire un vrai levier narratif ? »

En observant ce qui fonctionne vraiment en démo, j’en suis venu à distinguer quatre façons concrètes d’utiliser un cas client sans casser le flow ni tomber dans le piège de la démonstration marketing.

  • Penser narration avant tout : un bon cas client ne se lit pas sur une slide en fin de meeting. Il vit à travers la narration et s’intègre dans le rythme de la démo comme une preuve à lâcher au bon moment. Il faut le traiter comme une sorte de bulle, c'est-à-dire une histoire courte de 90 secondes maximum, avec un avant, un pivot et un résultat. Rien de plus.
  • Aligner sur la douleur, pas sur le logo : citer un nom ronflant ne crée pas vraiment de la confiance. Ce qui provoque la projection d'un prospect, c’est ressentir un challenge similaire qui a été résolu. Ce n’est pas « Airbus a fait ça mais cela n'a rien à voir avec votre problème », mais « un constructeur aéronautique français, bloqué par une dette d’intégration comme vous, a obtenu ces résultats ». Le logo vient ensuite, discrètement, comme une validation naturelle. Ah oui, je parlais d'Airbus.
  • Rendre l’ingénierie visible : les prospects n’ont pas besoin qu’on leur vende un miracle. Ils veulent sentir la vérité. Montrer aussi les contraintes et les limites, c’est ce qui rend un cas client crédible. Le marketing vend le résultat, le SE doit parler du chemin.
  • Faire parler le client : un témoignage direct vaut toutes les slides et tous les discours. Une vidéo de vingt secondes d’un utilisateur ou d’un sponsor C-level, tournée sans artifice, a mille fois plus d’impact qu’un contenu marketing interne.

Mais avant d’en faire un levier, il faut déjà arrêter de les saboter. Parce qu’en matière de cas clients, on a tous nos mauvaises habitudes...

  • Le défilé de logos : je vois encore trop de démos qui commencent ou terminent sur une slide couverte de logos, du grand compte du CAC40 à la scale-up inconnue. L’intention est bonne : rassurer. Mais l’effet est en fait inverse : personne ne se sent concerné par ces logos. Pour corriger ça, parle-en à ton AE et sélectionne trois références client au maximum. Choisis-les parce qu’ils racontent un enjeu similaire, pas parce qu’ils ont envoyé un AE au President’s Club.
  • Les chiffres hors contexte : « +200 % d’efficacité », « ROI multiplié par trois ». Ces chiffres font briller une slide, mais ne disent rien de vrai. Le prospect veut savoir comment c’est mesuré. Replace toujours ton KPI dans son contexte : période, périmètre et base de comparaison. Et si tu n’as pas la donnée parfaite, donne une plage honnête et explique le raisonnement. Un chiffre sincère vaut mieux qu’une exagération. Ton prospect non plus n’est pas né de la dernière pluie...
  • Les success stories totalement aseptisées : ces cas trop propres où tout s’est passé parfaitement ne trompent plus personne. Un projet sans accroc, ça n’existe pas. Ajoute au contraire une touche de vérité : un choix difficile, un délai rallongé, une contrainte technique surmontée. Le réalisme rassure.

Je crois que le cas client n’est pas un supplément de crédibilité : c’est le langage du réel. Un bon cas client n'est pas là pour flatter ton égo ni celui de ton AE. Il doit relier trois choses : la promesse à la preuve, la peur à la possibilité et le doute à la décision. Et c’est exactement là que se construit la confiance. Le marketing peut raconter des bonnes histoires, mais c'est à toi de raconter la vérité utile, celle qui résonne et rassure.

Si tu veux passer de la théorie à la pratique, voici cinq actions simples qui rendent immédiatement tes cas clients plus crédibles (et surtout plus utiles) :

  1. Revois ton stock de cas clients : classe-les par problématique, pas par verticale ou pire encore par logo. Supprime ceux dont tu ne maîtrises pas le contexte ou les chiffres.
  2. Crée une structure : Miroir, Mouvement, Mesure, Méthode : c’est la façon la plus simple et la plus efficace de narrer un « case study ». Un client dans une situation similaire (le miroir), la décision clé qui a tout changé (le mouvement), le résultat mesurable (la mesure), et la raison pour laquelle ça a marché (la méthode).
  3. Collabore beaucoup plus avec le marketing : propose-toi pour réviser ou coécrire les success stories. Ton œil de terrain garantit le réalisme avec un contenu crédible.
  4. Prépare ton cas miroir avant chaque démo : choisis un exemple de client que tu pourras citer en 90 secondes pour ancrer ta démonstration. Plus c’est ciblé, plus c’est percutant.
  5. Utilise l’IA pour trier, enrichir et indexer. Elle peut t’aider à retrouver les cas pertinents, virer les mauvais, extraire les chiffres clés, reformater les histoires par persona, etc. À condition de partir de données réelles, à jour et validées en interne.

En ce moment, on parle tout le temps d’IA, de process, d’outils… mais une des forces d’un SE reste sa capacité à raconter le vécu. Les cas clients, c’est notre langage commun avec les prospects. Ils raccourcissent la distance et rappellent qu’on parle du monde réel, pas seulement d’une solution technique sympa sur le papier.

Et toi, dans tes démos, tu cites des logos ou tu racontes des histoires ?

Merci d’avoir lu jusqu’ici !

SolutionScience revient vendredi prochain avec une nouvelle réflexion sur ce drôle de métier qu’on pratique tous différemment, mais qu’on essaie tous d’améliorer.

Si ce numéro t’a parlé, partage-le à un collègue Presales qui n’en peut plus des slides de références clients.

À vendredi.

Philippe