SolutionScience #011 | L’IA organise les funérailles des SEs qui refusent d’évoluer
Je lis chaque jour sur LinkedIn et sur les internets des drôles de certitudes sur l’IA et son pouvoir de remplacer tel ou tel métier. Elles sont généralement écrites par des experts qui n’ont jamais touché aux mathématiques appliquées de leur vie : pas de calcul matriciel, pas de vecteurs, pas d'algèbre linéaire, pas de probas… bref, rien de ce qui fonde concrètement l’IA.
Résultat : une lecture simpliste et superficielle qui trahit surtout une incompréhension de ce qu’elle est vraiment. Et quand il s’agit de faire de la prospective technologique sur ce sujet, c’est un sacré problème !
Avant de rentrer dans le vif de l’IA et de ce qu’elle signifie pour les métiers Presales, je vais introduire ce numéro avec une expérience très parlante, que tu connais forcément si tu es SE ou AE.
J’ai toujours été frappé par le côté artisanal de certaines tâches chez les éditeurs de logiciels, surtout en ce qui concerne les grilles de réponses à un RFP. La plupart des SEs bricolent avec leurs propres fichiers, bourrés de réponses recyclées de RFP passés, souvent obsolètes. En conséquence, quand un nouveau RFP arrive, par exemple un questionnaire de sécurité (le fameux security questionnaire), ils passent des heures à fouiller, jongler entre 15 onglets, corriger, recoller, et parfois copier des réponses tellement datées qu’elles frisent le faux témoignage technique. Et je te le rappelle : une grille de réponses à un RFP est un document contractuel qui peut servir en cas de litige. Tu ne peux pas la négliger, même si tout le monde te dit :
« Fais au plus vite, personne ne lit vraiment les réponses ! »
J’ai moi-même (et souvent) perdu patience à chercher des réponses dans le néant, en retournant les bases documentaires internes ou en ouvrant des threads avec les équipes sécurité, produit ou en fait toute personne dans la boîte susceptible d’aider. Un enfer. Je pense que tu vois de quoi je parle...
Puis, les logiciels de gestion de RFP ont été vendus comme des solutions miracles. Mais soyons honnêtes : quand tu colles de vieilles réponses mal écrites dans un outil, tu ne fais qu’industrialiser de l’à-peu-près.
Je pense que l’IA peut réellement changer la donne : avec une base documentaire dense et à jour (aïe), elle peut générer des réponses fiables, bien écrites, contextualisées et enrichies. Imagine un RFP où chaque ligne ne se contente pas de décrire une feature, mais démontre aussi sa valeur business dans un contexte spécifique. Là, on commence à parler d’un vrai gain de temps et d’un vrai levier pour un SE.
Si tu veux que l’IA t’aide vraiment sur les RFP, oublie la magie et les fausses promesses : elle n’est pas plus intelligente que la documentation sur laquelle elle s’appuie. Si la doc est incomplète, obsolète ou éparpillée (wikis, PDF, Excel, Sharepoint, etc…), tu n’auras que des réponses foireuses. Le vrai premier pas pour une équipe de SEs, ce n’est pas de jouer avec un LLM : c’est d’influencer les équipes responsables de la documentation pour qu’elles fassent bien leur boulot. Une base claire, exhaustive, qui couvre la solution, la technique, l’architecture, le légal, la sécurité, la protection des données… Sans ça, l’IA ne fonctionnera pas.
Revenons à nos moutons.
Je vais être direct : non, l’IA ne va pas tuer le métier de SE. Elle va tuer les SEs qui s’accrochent à leurs interminables démos génériques de 45 minutes et à leurs réponses RFP bricolées à la main. Et crois-moi, ce sera impitoyable : elle ne remplacera pas ton rôle directement, mais elle rendra évident à quel point certains n’ont pas voulu évoluer.
Depuis des mois, j’entends deux camps. Je vais un peu généraliser mais, d’un côté, ceux qui fantasment par manque de recul technique :
« Bientôt, les agents IA feront la discovery, dérouleront des démos personnalisées et répondront aux RFP sans intervention humaine. »
De l’autre, ceux qui haussent les épaules, ce que j'appelle les spécialistes du statu quo :
« Ça ne remplacera jamais l’humain (et donc les SEs), on a encore de belles années devant nous. »
Je ris un peu, car la vérité est au milieu. L’IA ne tuera pas le rôle, mais elle va accélérer la sélection naturelle.
Parce qu’il faut être clair : tout ce qui est répétitif, mécanique ou sans valeur ajoutée évidente va disparaître. Les RFP copiés collés, les démos catalogues où tu montres que la solution fait tout (et donc rien), les POCs en mode artigiani della qualità qui prennent trois semaines à mettre en place. Tout ça, c’est fini. Et celui qui refuse de le comprendre va se réveiller un matin remplacé par un collègue plus jeune, formé et augmenté par l’IA.
Et tu sais quoi ? Il fera la même démo que toi… mais en 7 minutes, café encore chaud à la main.
Aujourd’hui déjà, l’IA est capable de générer tes premiers drafts de réponses à un RFP (attention à l'aspect juridique quand tu utilises l'IA sur un document confidentiel client), de préparer des scripts de démo personnalisés, de créer des datasets réalistes pour un POC, et même de te souffler les bonnes questions à poser en discovery. Mais attention : ça reste de l’accélération, pas de la substitution. L’IA te prépare la matière brute mais c’est toi qui dois cadrer, trier, vérifier, ajuster. Et surtout, c’est toi qui dois incarner la confiance.
Spoiler : aucun chatbot n’a encore réussi à créer de la confiance (et encore moins à serrer une main avec sincérité).
Et c’est là que le rôle de SE change en profondeur. Demain, tu ne seras plus seulement celui qui « montre la valeur », mais celui qui conçoit et gouverne une solution dans un contexte donné. Tu seras celui qui sait jusqu’où l’IA peut aller… et où elle doit s’arrêter. En gros, tu seras le surveillant de cantine des agents IA.
Je dois aussi évoquer un point important : là où l’IA ne remplace rien du tout (ou pas avant longtemps). Elle ne remplace pas la relation interpersonnelle, ni la lecture politique d’un compte quand il faut naviguer entre un sponsor hésitant, un champion sans influence, un DSI prudent et un acheteur qui veut un ROI garanti. Elle ne remplace pas l’arbitrage des risques, ni le design des compromis quand deux exigences s’opposent. Elle ne remplace pas la narration crédible qui fait passer un « ça marche en démo » à un « ça marchera chez vous, voici comment et ce qu’on ne fera surtout pas ». Et surtout, elle ne remplace pas la responsabilité quand ça chauffe. Le jour où le CISO demande : « Qui est responsable si ça déraille ? », aucun agent IA ne viendra lever la main en comité d’archi. C’est ça, la vraie valeur non substituable du SE.
Alors, j'a envie de tenter un exercice de prospective :
- Dans 2 ans, tu seras un SE augmenté. Tu lanceras des POC rapidement, tu dérouleras des démos personnalisées en quelques clics, ton RFP sera rédigé à 80 % grâce à un LLM mais tu en porteras la validation à 100 % car personne en interne n’aura mesuré l’importance de la qualité de la donnée. Ton KPI pourrait être le « temps pour délivrer la première preuve d’impact », appelons-le TTI (Time-To-Impact).
- Dans 5 ans, tu deviendras une sorte de chef d’orchestre pour agents IA. Tu driveras le deal en cadrant la solution, les workflows et en alignant business, risques et contraintes techniques. Tu seras évalué non seulement sur ta capacité à convaincre, mais aussi sur ta capacité à gouverner ces outils.
- Dans 10 ans, le rôle de SE aura complètement pivoté. Beaucoup d’aspects techniques seront automatisés. Ton job sera celui d’un architecte de confiance : poser les garde-fous, valider la conformité, négocier les risques, et garantir que la solution IA reste éthique, crédible et viable. Le SE rentrera donc en politique.
Alors, l’IA tue-t-elle ton métier ? Non. Mais elle va tuer la complaisance et les mauvaises habitudes. Elle va creuser l’écart entre ceux qui s’adaptent et ceux qui s’accrochent à leur zone de confort.
On passe comme chaque semaine aux conseils actionnables !
- Forme-toi sérieusement à l’IA : pas juste en jouant avec ChatGPT ou Claude. Apprends les bases de l’IA générative, du prompt design, et les limites de ces outils. Il y a des tonnes de formations sur le web. Inscris-toi !
- Automatise une partie de ton travail actuel : prends un processus récurrent (grille RFP, dataset pour un POC, scénarios de démo) et entraîne-toi à l’industrialiser avec l’IA. Même si c'est un peu artisanal, ça t’oblige à expérimenter. Et surtout, partage tes résultats en équipe !
- Mesure ta propre valeur ajoutée : fais la liste de ce que tu fais chaque semaine et classe les tâches en deux colonnes : remplaçables par IA / irremplaçables (confiance, design, politique…). Tu comprendras où investir ton temps pour rester indispensable.
- Travaille tes soft skills, ta narration et ta posture : l’IA peut produire du contenu, mais elle ne peut pas convaincre en face-to-face. Ton rôle, c’est d’incarner la crédibilité. Les bons SEs sont ceux qui maîtrisent aussi la dimension émotionnelle de leur métier.
- Construis ta stack perso augmentée : choisis dès maintenant 2 ou 3 outils IA que tu maîtrises et intègre-les à ton quotidien. Quand tout le monde rattrapera le train, tu auras déjà beaucoup d’avance.
Et toi, tu comptes attendre de voir ou tu commences déjà à devenir un SE augmenté ?
Si tu t’es reconnu dans ces lignes, mission accomplie ! Tu peux fermer ton onglet ou envoyer cette page à un collègue avant qu’il ne se fasse remplacer par un SE augmenté.
Rendez-vous vendredi prochain. Et surtout, abonne-toi pour ne rien manquer !
Philippe